Bellaflore - 12

Publié le 16 Juin 2017

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L’étang aux Croix est ainsi surnommé depuis des générations. Le petit lac, d’un rond de 750 mètres de circonférence presque parfait, connaît une sombre réputation. Selon la rumeur populaire, les fantômes de deux paysannes locales y rôderaient. Leurs époux les auraient tués ensemble en 1752 pour avoir entretenu une relation adultère. Les deux amantes auraient entraîné le courroux de leur mari respectif qui n’auraient pas hésité à leur lier mains et pieds pour les couler au fond de l’étang. Des années plus tard, les époux pris de remords seraient allés les rechercher pour les installer près des leurs, sous de vieilles pierres marmoréennes situées sur la rive nord-ouest de l’étendue d’eau.

Si cette légende perdure, c’est qu’il existe d’étranges photos des spectres. Par ailleurs, une vidéo a durant les années soixante fait fureur sur l’île et avait amené dans le coin des journalistes de la rubrique « insolite » de tout le pays.  Dedans, deux « formes » blanches qui se tiennent par la main semblent marcher sur les bords de l’étang avant qu’elles paraissent s’arrêter et dévisager le cameraman qui, paniqué, avait alors pris la fuite, ce, tout en continuant de les cadrer. Le film en noir et blanc qui a connu un énorme succès reste à ce jour inexpliqué et suscite de temps à autres l’intérêt de médias en manque d’actualité. L’endroit n’incite vraiment pas à la promenade, son aspect glauque, surtout dans les mois d’hiver, quand le brouillard souvent épais s’étale lourdement sur la lande, ne possède pas grand-chose d’attrayant. Cependant, la présence des paysannes attire toujours quelques curieux en quête de réponses, ou par simple curiosité, juste pour le frisson.  Et si c’était vrai ?

Posée à l’opposé des stèles habitées, la maisonnette de plein pied et d’un seul étage d’Elizabeth MacLys détient un accès direct aux abords de l’étang aux Croix. Ses murs rose-clair et ses volets rouges donnent à sa propriétaire une sage impression. Les jardinières posées sur les allèges des fenêtres contenant diverses fleurs campagnardes témoignent d’une certaine douceur de vivre. D’extérieur entretenu, la pelouse tondue, une petite table carrée accompagnée de ses deux chaises rouges en métal à côté de l’entrée, l’habitation d’Elizabeth respire la plénitude et le bonheur, et la végétation arrosée par le ciel noir des dernières heures avivant les odeurs accentue cette sensation de bien-être.

Dans cet écrin délicieux, une chose intrigue Mary et Joe dès leur descente de voiture. Les volets sont fermés et la porte est ouverte.

-Tu connais la légende j’espère ?

-Les paysannes ?

-Bah tu vois, Joe, je crois que la porte ouverte n’est pas bon signe. Y’a quelqu’un ? appelle Mary. Eh oh, Elizabeth ?

-C’est Ducky.

-Allo Joe ! je visionne une clé USB enfoui dans le derrière du corps X et j’aimerais bien que tu me donnes ton avis.

-Enfoui dans quoi ?

-Je sais, c’est bizarre, mais la clé a été trouvée par le docteur Bulbo enfoncée dans le trou de balle de la victime.

N’attendant pas la fin de l’appel de Ducky, Mary pénètre la maison en continuant d’appeler dans l’espoir que quelqu’un lui réponde, quand soudain, une silhouette la bouscule durement à l’épaule et prend la fuite pour s’engouffrer dans le bois de caduques et de conifères qui entourent l’étang.

-Je vous rappelle patron.

Sans attendre, Joe se lance à la poursuite de l’inconnu.

-Putain, j’l’ai pas vu, lui crie Mary qui se relève difficilement.

La course-poursuite mène les deux hommes de l’autre côté du mur de pins où se trouvent à la fois l’usine de recyclage et la seule déchetterie de Plymouth. Longeant les installations, en contrebas, passe une route réservée aux camions-benne. Après un dernier regard derrière lui, l’individu saute sans hésitation pour retomber dans l’un d’eux justement dans sa ligne de saut. A son arrivée en haut de la route, Joe, les mains sur les hanches, ne peut que constater sa défaite face à ce quelqu’un visiblement endurant et plein de toupet. En s’approchant du bord, essoufflé, Joe réalise qu’il venait de sauter de huit mètres. Assis dans le camion, le fuyard encapuché le regarde, et d’un geste qui en dit long sur son tempérament, adresse à l’inspecteur un doigt d’honneur goguenard.

En voulant le rattraper, Joe avait trébuché mais ne s’était miraculeusement pas retrouvé au sol grâce à l’appui de ses mains désormais souillées de boue. Cependant, sa demi-chute lui avait permis d’apercevoir près d’un tronc d’arbre un papier tombé de la poche du fugitif. Face à la terrible vision du camion-benne prenant le large, l’inspecteur prend le temps de le déplier.

 

Elizabeth. Il est de retour, j’ai peur pour toi. J’ai si peur. Je crois qu’il a déjà fait du mal à Hannah-Jane. Je t’en supplie, va voir la police, dis-leur tout. On ne peut plus rester dans le silence. Va les voir, dis-leur tout ce que nous savons. Vite.

                                                               Gaël

 

                  Mary a traversé la maison sans croiser âme qui vive, exceptée celle qui l’avait mis à terre, pour parvenir sur une terrasse en bois coquettement aménagée avec vue sur l’étang aux Croix. Installée dans un bain de soleil, elle contemple une photographie trouvée sur une étagère du salon. Quelque chose l’avait intrigué. Le cliché dévoile six jeunes gens, qu’elle suppose tenir les quinze ans, debout sur le sable, bras dessus, bras dessous, et au second plan, l’Atlantique. Tous posent souriants sous une lune à peine voilée, parmi eux, les trois visages qu’elle vient de reconnaître. Le cadavre X qui anime la morgue et excite le docteur Bulbo possède un fort joli minois enjolivé par une large risette. La grâce de son sourire enfantin lui éprouve une profonde tristesse sachant la belle désormais endormie pour toujours. Quant aux deux autres sourires, ceux de Bellaflore et de Folatro, ils l’alimentent de tressaillements incontrôlables. Folatro surtout.

Rédigé par wikistrike.com

Publié dans #Bellaflore

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