Bellaflore - 10

Publié le 30 Mai 2017

10

 

 

La morgue de Colbirt se situe au sein même du crematorium, à deux rues du commissariat. Quand Ducky entre dans la petite salle éclairée par un puissant néon blanc oblong, le corps de l’inconnue de la falaise est allongé sur une table en aluminium et recouvert d’un drap blanc. Le légiste, docteur Bulbo, une tête d’œuf au gros ventre rebondi sous sa blouse blanche, des lunettes grises aux verres épais sur le bout du nez, vient à son encontre.

-C’est dingue ce qu’elle est abîmée, la pauvre. La chute a évidemment provoqué une multitude de fractures, ce pourquoi j’ai plutôt affaire  à un invertébré. Le scientifique sort alors un rire de cochon qui n’affole pas Ducky qui le connaît depuis deux décennies. Mais je peux te rassurer, elle n’a pas souffert. J’ai retrouvé des traces d’éther dans ses poumons et son foie.

-Et…

-Et on l’a endormi avant qu’elle ne s’aplatisse. Par contre, elle était vivante quand on l’a jetée. Ni strangulation ni autre, si elle avait ouvert les yeux, elle aurait vu les rochers se rapprocher à toute vitesse. Evidemment, au regard de la hauteur de la falaise, les plaies et les hématomes ont fleuri un peu partout sur son corps. Même bien maquillée, je ne conseille pas à la famille de s’en approcher. Une photo suffira.

-Pour le moment, Bulbo, on ignore son identité.

-Je ne dis pas heureusement, mais c’est mieux pour elle, un sac à vomi serait inévitable. Rire cochon. Au fait, je confirme mes premières constatations faîtes sur place, elle n’a pas été violée.

-Et sa mort remonte à quand ?

-Le 10 juillet, entre 16 et minuit.

« Nessun dorma » retentit.

-Pardon, je reviens.

-Sympa la sonnerie… et de circonstance.  Rire de cochon.

 

-C’est Augustina.

-Oui ma petite, ne me dis pas que Joe te harcèle.

-Oh lui, non. J’ai reçu un courrier anonyme concernant le dossier Bellaflore. Mais le corbeau a également noté deux autres prénoms. Inspecteur chef, et si Folatro avait dit vrai, si Bellaflore avait été enlevée.

-Je vais chercher les renforts à l’embarcadère et j’arrive. En attendant, protège la lettre et pose-la sur mon bureau.

 

-Il faut que j’y aille

-Tu ne veux pas écouter la suite ? Pourtant, c’est le plus intéressant.

-Comment ça ?

-Eh bien Ducky, en examinant son vagin, j’ai découvert ce truc. Il était soigneusement emballé et fourré tout au fond de son…

-J’ai compris. Qu’est-que c’est ?

-Elle n’a pourtant pas la tronche d’un ordinateur…

-Qu’est-ce que c’est ?

-Il faut te mettre à la page, ceci est une clé USB !

-Une clé USB.

-Fascinant, non ? Ne la regarde pas comme ça, mon vieux. A toi désormais de l’insérer dans la bonne prise. Parce que sur elle… Tu sais ce que c’est qu’un écran au moins ? Rire de cochon.

-Merci, Bulbo. Du bon travail. Et par pitié, sors un peu de ce frigo.

-Du nouveau dans la disparition de la minette ?

Mais à peine la question posée, Ducky a déjà franchi la double-porte.

 

Sous l’impulsion de l’inspecteur chef Ducky, dans une démarche exceptionnelle, un hélicoptère de la police de Sallburg s’était posé aux alentours de 1 heure du matin pour récupérer au plus vite des échantillons prélevés sur le corps de l’inconnue. L’île étant ce qu’elle est, un petit territoire perdu, la section scientifique se trouve sur le continent. Dans des investigations criminelles, et sans pouvoir apposer de nom sur la victime, l’urgence était à l’obtention d’un profil ADN.  Peut-être que la fille avait un casier judiciaire ? Peut-être lui avait-on déjà récupérer un peu de salive ? Lors d’une arrestation ? Lors d’un précédent examen ? Il le sait parfaitement, sans identité, les investigations s’avéreront complexes et l’enquête pourrait ne jamais aboutir. Elle avait été retrouvée nue et isolée, et personne ne la cherchait, personne ne s’en inquiétait. Du coup, sans indice matériel, Ducky remet tous ses espoirs sur les capacités de la science à mettre un nom sur ce visage. Il faut que ça matche, pense-t-il, en arrivant à l’embarcadère, il faut des résultats, regardant au loin s’approcher le ferry de 12h30.

Mais dans sa tête navigue des tas d’autres pensées trop présentes, en particuliers, sa femme Rosa, qui flotte sur lui comme un long voile irrespirable, elle dont l’amant de quinze ans plus jeune la force à divorcer, elle qui l’a quitté il y a deux ans, et avec, déconstruit trente années de bonheur. Son nouveau mec n’est pas seul à l’éloigner de sa femme qu’il aime toujours secrètement, la mer aussi désormais les sépare.

Au sein du Central, sa tristesse ne passe pas inaperçue.  Tout le monde reconnaît que Ducky a changé, qu’il n’est plus le même depuis un certain temps, mais lui qui reste très discret sur sa vie privée s’en contrefiche royalement tant que la Patrouille place sa morosité sur le compte de sa retraite qui approche, tant que ses capacités et concentrations professionnelles ne sont pas altérées par l’épreuve. Hormis de son ami Bulbo, la source de son anxiété est ignorée de tous, et c’est là pour lui le principal.

L’inspecteur avait rencontré sa future épouse à Glasgow, lorsqu’il n’était qu’un simple bleu affecté à un sordide poste de banlieue. Son acharnement, sa perspicacité, ses talents de déduction, l’avaient alors mené à diriger ce même commissariat de quartier. Et c’est lors de vacances sur Plymouth dont ils tombèrent éperdument amoureux, qu’ils entreprirent de s’y installer. Sa mutation lui avait rapidement été offerte et ils achetèrent ensemble un petit appartement dans Colbirt, un trois pièces qu’il occupe toujours actuellement. Mais comme une âme peut être grande et vide à la fois, il vit dorénavant seul entre des murs beaucoup plus hauts et beaucoup plus reculés.

Au ralenti, sous les iaou iaou des goélands, le ferry pénètre le port pour longer le quai de débarquement. Si seulement Rosa pouvait être en son bord. Si seulement la traversée en eaux troubles qu’il vit pouvait se terminer. Un violent orage dégringole des cieux et sa capuche ne protège plus sa tête.

Rédigé par wikistrike.com

Publié dans #Bellaflore

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